Pour présenter leur projet de paysage documentaire sonore sensible et poétique, B.Boriès et Aurélien Caillaux, actuellement en résidence dans les Hautes-Corbières, nous ont écrit quelques mots sur leur "patte sonore". Késako "patte sonore" ?
"L’écriture sonore a cette capacité à mêler des strates sonores différentes. L’élément prépondérant d’une écriture sonore réside dans la construction d’espaces acoustiques, ou comment penser l’entremêlement de différents plans sonores pour élaborer un récit et une musique des lieux traversés. Cet assemblage par strates permet de proposer une écriture sonore faisant des liens allégoriques et symboliques entre des matières sonores enregistrées à différents moments. L’expression « documentaire poétique », utilisé par Kaye Mortley à l’origine de l’Atelier de la création sur France Culture, prend ainsi tout son sens. Il est alors aisé de créer des résonances entre sonorités du présent et évocations mémorielles du récit. Le sens du récit peut aller au-delà des propos des personnages, le sens global de la pièce émanant de la juxtaposition des différentes couches sonores. Nous créons alors un contexte d’écoute résonant avec le propos et avons la possibilité de suggérer ce qui n’est pas dit. C’est également un moyen de respecter une certaine pudeur dont nous pouvons être témoins avec les personnes que nous suivons dans la durée.
Nous souhaitons prendre des temps longs pour aller capter des ambiances larges de la nature avoisinante, phonographier des lieux, ausculter le savoir-faire des vignerons avec différents types de micro-contacts. Enregistrer tous les éléments de premier et d’arrière plan qui constitueront les cartographies sonores nécessaires à la composition de la pièce. Nous nous appuyons beaucoup sur ces cartographies sonores conçues pour chaque personnage, lieu ou thématique traversés par la narration. Elles nous aident à choisir des matières que nous utilisons par la suite dans l’élaboration de nos paysages sonores ou compositions acousmatiques.
Nous ne pensons pas au montage durant nos captations sonores du terrain. Nous fonctionnons plus par intuition des thématiques qui seront traversées par la narration et sur le principe de capter au maximum ce qui nous paraît important de notre ressenti sur place, vis à vis des personnages ou des espaces traversés durant le tournage. Nous ouvrons nos oreilles, et tentons de capter la matière sonore la plus diverse possible.
A l’occasion des différentes pièces que nous avons réalisées chacun de notre côté puis en duo, nous avons esquissé les grandes lignes d’un formalisme d’écriture et de composition sonore qui nous guide à chaque projet, et façonnent notre “patte sonore”. Une fois le tournage terminé et la matière sonore collectée, nous accordons un long moment au dérushage et à l’échantillonnage, nettoyage et classement des matières. Lors de cette étape, nous constituons une première ébauche des liens narratifs possibles qui relient les différentes thématiques que nous abordons, et les matières sonores qui y sont associées. Pour chaque thématique, nous classons les matières selon plusieurs catégories : voix nue, voix en interaction, éléments de composition du paysage sonore (ambiance large, et élément percussif précis), éléments acousmatiques. Le montage démarre ainsi sur papier, par le biais de schémas qui se précisent au fur et à mesure, faisant émerger les parties de la pièce. Pour chaque partie sont notées des séquences d’interactions mettant en scène les personnages, des extraits d’entretiens qui correspondent et peuvent faire échos à ces séquences, et des indications concernant les matières à utiliser pour constituer la composition des paysages sonores et musicaux de la partie correspondante.
La composition du paysage et la musicalité de nos pièces font partie, au même titre que les propos de nos personnages, de notre récit. Les éléments rythmiques, les complémentarités harmoniques viennent se frotter aux propos, les prolonger ou les arrêter brutalement. Ils donnent également une complémentarité dans l’écoute, le sens et le suggéré de la pièce. La composition musicale va donc au-delà d’une fonction purement esthétique, elle n’est pas non plus un habillage sonore. Elle s’étoffe au fur et mesure de la compréhension de la complexité des situations et du dévoilement des personnages. Ainsi, dans chaque partie d’une pièce, certains éléments musicaux sont disséminés séparément pour faire corps ensemble en fin de partie. La composition se met au service de la narration en appuyant certains moments de climax. "
Un exemple : "Les gardiennes du Temple" représenté au banquet du livres de Lagrasse au mois de mai 2023.
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